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KABS/MDK développent des versions génériques à bas prix de médicaments orphelins souvent vendus à prix inabordables4-5. La Tyrosinémie de Type I est une de ces maladies génétiques rares et mortelles. Cette maladie est traitée avec la Nitisinone (NTBC)6. Plus de 90 % des patients canadiens souffrant de Tyrosinémie de Type I vivent au Québec, où la prévalence per capita est la plus élevée au monde7-8. En 2016, KABS a bâti à Val-des-Sources (anciennement Asbestos), près de Sherbrooke, une unité de fabrication de Nitisinone (NTBC) générique pour les patients du Québec9. Cette usine est présentement inopérante.
Avant l’arrivée de KABS/MDK en automne 2016, SOBI a été pendant 20 ans en situation de monopole et vendait sa Nitisinone au Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) au prix d’environ 100 $ la capsule (10 mg). SOBI a opéré ce monopole sans avoir fait approuver son produit par Santé Canada, en prenant avantage du programme d’accès spécial (PAS)10.
L’approbation par Santé Canada des capsules de Nitisinone génériques de KABS/MDK a annulé 6 ans d’exclusivité au monopole canadien de SOBI, représentant une économie de 90 millions de dollars au MSSS. SOBI a entrepris une procédure judiciaire contre Santé Canada et MDK pour faire annuler notre approbation, sans succès11.
Nous appréhendions que la réponse de SOBI serait brutale, et que le dumping serait la manœuvre la plus plausible pour nous faire disparaître. Pour cette raison, depuis 2016, nous avons demandé au MSSS de ne pas soumettre ce médicament orphelin générique au système d’appel d’offres de la centrale d’achat Sigma-Santé. Des représentants non élus du MSSS ont choisi l’appel d’offres au plus bas soumissionnaire.
KABS/MDK ont gagné le premier appel d’offres de Sigma Santé en 2017 à prix de préservation bas (11 $ la capsule du 10 mg) pour nous permettre de prendre pied pendant 15 mois. Au deuxième appel d’offres, SOBI a répliqué par dumping et obtenu un contrat de 3 ans, au prix de 8 $ la capsule de 10 mg, soit 12 fois moins que le prix original de monopole.
Le 24 septembre 2018, à la suite de la décision prise par l’Agence des Services Frontaliers du Canada (ASFC) d’ouvrir une enquête de dumping, le Tribunal Canadien du Commerce Extérieur (TCCE) a ouvert une enquête de dommages, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures Spéciales d’importation (LMSI)12.
Le 20 novembre 2018, le TCCE a déterminé que les éléments de preuve indiquaient, de façon raisonnable, que le dumping des capsules de Nitisinone de SOBI avait causé un dommage à KABS/MDK13.
Le 20 mars 2019, l’ASFC a rendu une décision définitive de dumping concernant des capsules de Nitisinone de SOBI en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la LMSI. La marge de dumping est de 1 594 % en référence au coût de la Nitisinone en Suède. Cette marge de dumping est de très loin la plus élevée jamais constatée par l’ASFC14.
Le TCCE a tenu une audience à Ottawa les 19, 20 et 21 mars 2019. L’audience comportait des séances publiques et des séances à huis clos. KABS/MDK et SOBI ont présenté des témoins. Des représentants de Sigma-Santé et du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB) ont comparu à titre de témoins du Tribunal.
Durant cette période SOBI a engagé quatre lobbyistes d’Ottawa avec mandats déclarés publiquement d’user d’influence politique pendant l’enquête et les délibérations du TCCE. Ces activités de lobbyisme avaient pour but de ne pas faire imposer de tarif anti-dumping à SOBI. Imposer du tarif anti-dumping à une multinationale pharmaceutique européenne créerait effectivement un précédent dont les répercussions ont fait l’objet déclaré de ce lobbysime15.
L’avocat de Sigma-Santé a aussi usé d’influence de manière particulièrement efficace dans son mémoire public présenté au TCCE16 :
« 25. Finalement, en diminuant la concurrence, notamment en écartant des fabricants étrangers, il y aurait un risque de créer une situation de monopole profitant à un fabricant canadien. » SIGMA-SANTÉ / 2019
Pour imposer un tarif anti-dumping à SOBI, le TCCE devait établir un lien de causalité technique entre le dumping prouvé par l’ASFC et les dommages de KABS/MDK reconnus par le TCCE. Dans sa décision finale le TCCE a réussi à conclure qu’il n’existe pas de lien de causalité entre le dumping de Nitisinone par SOBI et le dommage subi par KABS/MDK. L’astuce qui a permis cette décision aura été l’œuvre des représentants de Sigma-Santé durant une séance à huis clos21.
En conséquence, notre usine de Val-des-Sources (anciennement Asbestos) est présentement inopérante et nous avons suspendu le développement de trois autres médicaments orphelins. Notre Nitisinone, fabriquée à petite échelle dans notre laboratoire de St-Hubert est vendue dans le reste de Canada mais pas au Québec où résident 90 % des patients canadiens. Nos capsules de Nitisinone sont approuvées en Europe, au Brésil, en Algérie, en Russie, où la compétition est féroce mais pas inhibée par du dumping tel que permis au Québec.
À noter que dans ce dossier le reste du Canada a fait preuve de sagesse et de prudence par l’entremise de l’alliance pharmaceutique pancanadienne en refusant d’encourager le dumping, mais plutôt en fixant un prix de remboursement que le produit soit générique ou non. Pratiquement tous les pharmaciens du reste du Canada choisissent la Nitisinone québécoise.
L’ajout du dumping dans la liste des pratiques interdites décrites dans la loi C-65.1 est un amendement facilement applicable pour solutionner cette impasse et réparer un précédent dangereux pour notre industrie pharmaceutique.
Encourager le dumping étranger comme l’a fait avec tant d’ardeur Sigma-Santé est le fruit d’une vision à très court terme où les « économies » d’aujourd’hui seront annulées par les hausses de prix subséquentes une fois les joueurs locaux éliminés. Cette pratique est contraire à l’intérêt public québécois et crée un dangereux précédent contre notre industrie des médicaments génériques.
L’article 13.4 de C-65.1 cite qu’un contrat d’approvisionnement peut être conclu autrement que par appel d’offres lorsqu’un organisme public estime qu’il lui sera possible de démontrer, compte tenu de l’objet du contrat et dans le respect des principes énoncés à l’article 2, qu’un appel d’offres public ne servirait pas l’intérêt public22. Il est spécifiquement cité dans la loi C-65.1 que l’article 2 vise à promouvoir le traitement intègre et équitable des concurrents. Souscrire au dumping viole l’article 2.
L’ajout du dumping, aux termes de la LMSI, dans la liste des pratiques interdites décrites dans la loi C-65.1 est un amendement facilement applicable pour solutionner cette impasse et réparer un précédent dangereux pour notre industrie pharmaceutique.
La situation de dépendance pharmaceutique découlant de la pandémie causant la COVID-19 n’a fait que confirmer l’importance vitale de protéger notre industrie locale, tel que souvent mentionné par nos élus23-27, en rendant le dumping une pratique interdite.